Captation multicaméras du concert de Matthew Herbert à Beaubourg en 2003 Making Off Technique : 7 cameras DVCam

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Un tournage en DVCAM improvisé dans la journée, un montage de 59’ sur huit caméras bouclé en 15 jours, étalonnage, mixage et conformation sur Final Cut Pro 4 et Pro Tools, inclus. Le tour de force réside notamment dans la rapidité exceptionnelle du montage à 8 bandes vidéo, mais aussi et surtout dans l’incroyable dextérité du module d’étalonnage à 3 voies de Final Cut Pro 4. À l’étalonnage, toutes ces caméras ont été raccordées malgré d’importantes différences de teinte.



All musics & sounds performed by THE MATTHEW HERBERT BIG BAND

Direction (Réalisation) Jean-Pierre Zirn & Marc Salama

©Mezzo-Productions La Seine-Absy.com 2003


Le 15 juillet 2003, Jean Pierre Zirn, des productions la Seine, m’appelle inopinément pour me demander de filmer le « Matthew Herbert Big Band » au Centre Pompidou… demain ! « C’est pour Mezzo » précise-t-il et « il n’y a pas de budget… », sans doute un pléonasme…

La veille pour le lendemain, rien que de très normal dans ce métier pétrit d’incertitude et de défis techniques, et en voici un de taille : va-t-on pouvoir raccorder les images de nos huit caméras DVCam complètement disparates, comprenant une DSR 500, une PDX 10, quatre PD 100, une PD150 et une DVX 1000, soit trois générations de caméras SONY qui s’étalent de 1997 à 2002 ; conséquence inéluctable du : « Il n’y a pas de budget… »

Le samedi matin, nous débarquons sur le vaste plateau de la Grande Salle du centre Pompidou, à 7 personnes, 5 cadreurs et deux assistants répartis dans deux voitures, matériel inclus ! C’est là déjà un avantage, finis les semi-remorques et la grosse manutention. L’équipe technique de Beaubourg, sous la direction de son régisseur général Fabrice Pleynet, nous reçoit chaleureusement et nous ouvre le plateau pour la mise en place : 20 mètres de large sur 15 mètres de profondeur pour loger 18 musiciens et nos huit caméras… il y a de l’espace !

La vidéo

Pendant que l’équipe s’active à positionner les trépieds (voir Encadré), Bernard Ferry, notre chef opérateur, prend en main la mise au blanc des caméras sur le plateau à l’aide d’un plein feux bien blanc fourni par le régisseur lumière. On en profite pour filmer directement sous cette lumière, une mire de gris qui nous aidera à l’étalonnage.

Une fois calée en haut des gradins, notre meilleure caméra, la DSR500, dotée d’une bonne optique, assure le plan large fixe, et nous optons pour un réglage de diaphragme automatique, ce qui évite bien des surprises et nous permettra d’en faire l’image de référence pour l’étalonnage. Juliette notre assistante se chargera de vérifier qu’elle tourne normalement, mais ne touchera pas au cadre.

5 cadreurs (incluant deux réalisateurs) pour 8 caméras : ceci implique que certaines soient livrées à elles-mêmes en plan fixe précadré, comme dans le cas du plan large. Frédéric, notre second assistant, tout de noir vêtu pour la discrétion, est chargé de changer batteries et bandes, et de les déclencher sans toucher au cadre. Ses deux caméras sont sur scène, l’une (DVX1000) est dédiée au pianiste, perdu derrière une nuée de saxophonistes en premier plan, et l’autre (PD100) est face au batteur.

L’audio

Parallèlement, j’essaie de câbler un 8 pistes Tascam pour mieux maîtriser le mixage, et comme toujours avec le son, les problèmes apparaissent et les limites en sortie des consoles nous interdisent de nous reprendre sur les sous-groupes audio. Nous voici donc en galère. La solution (sans miracle) reste une reprise stéréo du mixage de façade que l’on câble sur la caméra en plan large fixe, la DSR 500, dotée de bonnes entrées analogiques en xlr.

Pour obtenir l’effet « live », nous câblons en outre sur les entrées audio de la caméra face (PDX10), maniée par Jean Pierre Zirn et placée à 5 mètres du bord de scène, un couple stéréo Schoeps électrostatique. Enfin, pour les autres caméras, on se sert des micros intégrés, sauf pour l’une d’entre elles, la mienne, qui est montée sur un GlideCam Pro (sorte de mini steadicam) et qui est équipée d’un microphone semi-canon 416 Sennheiser (hypercardoïde) de très bonne facture. Ceci me permettra de « viser » les sons importants (soli et arrangements particuliers). Bref, il ne nous reste plus qu’à compter sur l’oreille du mixeur et la qualité de l’acoustique de la Grande Salle, qui fut au rendez-vous…

Le principe du multicaméras sans régie vidéo

La technique adoptée, et qui semblera aventureuse aux « anciens », consiste simplement à laisser tourner chaque caméra sans jamais les interrompre, avec des instructions précises données à chaque cadreur quant à son champ d’action, pour éviter d’avoir les 5 caméras sur la même cible. Ceci oblige ensuite à numériser chaque bande dans sa globalité et permet de faire rapidement la synchro des 8 bandes. Cette solution qui aurait coûté fort cher en bandes, en magnétoscopes et en disques durs, il y a quelques années encore, ne vaut presque rien aujourd’hui du fait de l’écroulement des prix des bandes et des disques durs qui ont accompagné l’avènement du tout numérique de ces dernières années.

Hormis la caméra plan large qui accepte les bandes DVCam de 3 heures, nous avons toutefois dû changer une fois les bandes au terme des 42 minutes que nous autorisaient les autres camescopes n’acceptant que de petites cassettes. Ces changements de bandes se sont effectués en décalage d’une minute environ par caméra car nous avons pris soin de ne pas les démarrer ensembles au début du concert pour éviter que toutes les ruptures se trouvent au même moment sur un titre.

Au final, une vingtaine de bandes DVCam furent utilisées pour capter 80 minutes de concert, dans lequel nous avons monté 59 minutes. Soit environ 640 minutes (8 x 80’) à numériser sur disque dur, ce qui représente à peine 130 Go sur un disque dur. Une bagatelle aujourd’hui…

Cette technique, que plus d’un réalisateur ou producteur engoncé dans ses habitudes qualifierait d’approximative, permet néanmoins au montage un choix bien plus précis et judicieux des plans et des coupes. Celles-ci seront beaucoup plus vives et rythmiquement mieux maîtrisées en fonction des événements musicaux, contrairement au montage sur régie classique, puisqu’à tout moment, on dispose de toutes les images sur chaque les caméras…

Le montage

Après deux bonnes journées de numérisation via Final Cut Pro 4, sur un G4 biprocesseur à 1,25 GHz, et environ dix minutes de synchro, nous voici à pied d’œuvre. Et contrairement aux usages courants, en tant que co-réalisateur et monteur, j’ai préféré m’attaquer d’emblée à l’étalonnage, même approximatif, de chaque bande avant même de commencer à monter. D’une part parce qu’il est plus facile de monter avec une bonne colorimétrie, c’est moins choquant à l’œil ; d’autre part parce que le module d’ « étalonnage à 3 voies » fourni en standard avec FCP 4 permet des réglages fins de luminance et chrominance en temps réel, avec toutefois une image basse définition en lecture sur le moniteur, mais largement suffisante pour monter. Après avoir passé une décennie à monter en AVR 3 ou 6 sous Avid, ce n’est pas un véritable handicap. Le tout étant calculé (rendering) en moins d’une heure juste avant la sortie sur bande.

Sur cet écran, le filtre « Color gche scène » n’est pas appliqué et l’image est brut de caméra (PD150)
Sur cet écran, le filtre « Color gche scène » n’est pas appliqué et l’image est brut de caméra (PD150)
Ici, le filtre est appliqué (coche bleue en face de l’œil) et l’on retrouve des couleurs plus intéressantes
Ici, le filtre est appliqué (coche bleue en face de l’œil) et l’on retrouve des couleurs plus intéressantes

Cette méthode est en fait beaucoup plus rapide que la méthode classique qui consiste à s’attaquer à la colorimétrie seulement après avoir monté. Le montage est plus agréable avec de bonnes teintes et surtout les corrections fines peuvent se faire au fur et à mesure des coupes et des changements de lumière du plateau. Ce qui signifie que quand le montage est fini, l’étalonnage l’est aussi à quelques plans près. Ceci représente un très gros gain de temps et c’est ce qui nous a permis d’emporter la décision de l’artiste et de la chaîne dans un délai très court avant diffusion.
De l’académique au moderne
Cette opération s’est bouclé en 3 semaines (15 jours ouvrés) pour 59 minutes de programme : une journée de tournage, 2 jours de numérisation, 10 jours de montage-étalonnage, 2 jours de mixage, une journée de conformation (PAD), pour un prix de revient qui ferait pâlir d’envie la plupart des producteurs à l’ancienne qui dépensent allégrement notre redevance dans des outils hors de prix au détriment des salaires des techniciens. En gros, le prix de revient de toute l’opération (équipements et salaires au tournage et à la postproduction) est à peine supérieur à ce que représente la simple location d’un car-régie huit caméras sans le personnel !

C’est pourquoi nous avons continué à appliquer cette méthode pour les captations de 4 concerts du festival « JAZZ AU FIL DE L’OISE » (http://www.jafo95.com) en octobre et novembre 2003, en prenant soin toutefois d’améliorer la prise de son grâce à un splitter audio qui nous a permis de séparer les sources audio dès le boîtier de scène et de les récupérer ainsi en multipiste pour une meilleure maîtrise du mixage. En outre, l’usage d’une caméra paluche s’est également institué dans la méthode.

Ces projets ont été menés à bien par les Productions La Seine (http://LaSeine.tv) & Absy.com (http://absy.com). Une co-réalisation Jean Pierre Zirn & Marc Salama (http://marcsalama.com)

Né à Londres en 1970 d’un père ingénieur du son à la BBC, Matthew Herbert est devenu au siècle dernier l’emblème d’une techno-rock engagé. Apprenti violoniste et pianiste dès 4 ans, il devient pianiste d’un Big Band à 13 ans. Les nouvelles technologies musicales croisent vite son chemin et il les intègre rapidement à son mode d’expression en échantillonnant en direct sur scène toutes sortes de sons qu’il sculpte en temps réel dans la rythmique. Artiste militant et bidouilleur de génie, avec son Big Band, il renoue avec ses origines et distille un jazz efficace et décalé, qui tourne en dérision les symboles de notre société de consommation. À New York, il échantillonnait des écrasements de canettes de coca et de paquets de corn flakes. À Beaubourg, il a copieusement fait déchirer en rythme les pages du Figaro par sa section de cuivre (Simple Mind).

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